L'HISTOIRE DE LA CANNE
Depuis le début de sa vie, l’humain (notamment) éprouve un attrait particulier pour le sucré. Le miel était alors le seul ingrédient permettant de confectionner des desserts, boissons sucrées ou fermentées (hydromel), et son grand inconvénient était son prix: dans l’Antiquité, un litre de miel coûtait à Athènes le prix de 2 moutons !
Néolithique (-9000 à -3300 ans av. J-C)
Originaire de Mélanésie (pour l’espèce Saccharum Spontaneum) et de la Nouvelle-Guinée (pour les espèces S. Robustum, et S. Officinarum, qui seraient issues de la S. Spontaneum), la canne à sucre, avec les mouvements migratoires de ses différentes peuplades, conquiert le Pacifique et l’Asie du Sud-Est, Java, Sumatra, puis les Philippines, Indonésie, Malaisie et la Chine du Sud-Ouest.
Elle gagne l’Inde vers -6000 av. J-C, le premier peuple à ne pas se contenter de la mâchonner, mais de la presser, la cuire pour en réduire le jus pour obtenir du «sarkara» en Sanskrit («sable sucré»), racine du mot sucre dans presque toutes les langues du monde, avec ses adjectifs moins connus «sita» (sucre lumineux/blanc) et «sitopala» (sucre en poudre ou en morceaux).
Ses habitants créèrent les premières méthodes d’élaboration du sucre en «gur» ou pains de sucre (forme conique au sommet arrondi, d’une hauteur d’env. 50 cm), découvrirent sa propriété de conserver les fruits cueillis et inventèrent dans la foulée la confiture. Le mot «candi» provient aussi du Sanskrit «khanda» (sucre solide et cristallin, de qualité moindre).
La conquête de l’Ouest de Darius le Grand (-520 ans av. J-C)
Darius 1er ou Darius le Grand, roi de Perse, va permettre d’étendre son empire sur une bonne partie de l’Inde et s’approprier la fabrication du sucre.
Son peuple enseignera pendant des siècles et dans tout l’empire l’art du raffinage du «tabaxi» (puis transcrit en «taberzeth» ou «tabazeth») ou «lait de roche», définition assez claire d’un lait ayant durci jusqu’à l’aspect et la consistance du roc. Il était si dur qu’il fallait un marteau pour en casser le pain, dont provient le terme français «cassonade».
Les Perses se sont octroyé le monopole de cette culture, l’ont plantée jusqu’en Méditérrannée orientale et ont ainsi étendu les routes du commerce du sucre.
Le «kan-che» s’introduit en Chine (Vème siècle av. J-C)
L’introduction du «kan-che» (bambou sucré) est située au Sud-Ouest de la Chine, proche de l’Inde. Elle est arrivée dans les provinces du Guangdong et du Guangxi.
L’espèce Saccharum Sinense en est originaire, elle-même un hybride entre la S. Spontaneum et la S. Officinarum.
Diverses citations à travers les Âges
La campagne de l’Indus d’Alexandre le Grand (-336 à -323 ans av. J-C)
Depuis son petit royaume, ce grand conquérant devient le maître de l’immense empire perse achéménide. Néarque, ancien satrape puis navarque (commandant d’une flotte de navires) d’Alexandre le Grand, notait en -325 av. J-C dans son journal de bord:
«En Inde, il existe un roseau capable de produire du miel sans l’entremise des abeilles…»,
Description dans «Naturalis Historia» (env. +50 ans ap. J-C)
Pline l’Ancien (+23 à 79 ans), auteur romain d’une encyclopédie de 37 tomes, distingue 20 espèces de cannes appelées alors «roseau à sucre» ou «bambou à miel». Il écrit aussi
«l’Arabie produit certes du saccheron (sucre), mais celui provenant d’Inde est plus célèbre»,
Les lettres de Sénèque (+1 à +65 ans)
Philosophe, dramaturge et homme d’état romain, raconte dans une de ses lettres:
«on aurait découvert en Inde du miel sur des feuilles de roseau. Celui-ci proviendrait soit de la rosée, soit de l’épaississement de la sève»
Description de Dioscoride (env +50 ans)
Pedanius Dioscoride (env. +40 à +90 ans), médecin, pharmacologue et botaniste grec, auteur de l’ouvrage de pharmacologie «De Materia Medica» décrivant les propriétés de 600 plantes médicinales, écrit:
«le sel des Indes est une substance présentant l’aspect des cristaux de sel, blanchâtre et friable, issue d’un roseau poussant dans les bienheureuses contrées d’Arabie et dont le goût n’est pas sans rappeler celui du miel».
Il considère surtout les propriétés curatives de l’eau de sucre et ses bienfaits pour les reins, l’estomac, les intestins et la vessie.
Son recueil a fait autorité pendant 1’500 ans, raison pour laquelle le nom latin du sucre est «Saccharum Officinarum» («sucre d’officine») et que les premiers Européens à en vendre furent les pharmaciens.
L’intérêt de Tang Taizong/Li Shimin (+600? à +649)
2ème empereur de la dynastie des Tang, Tang Taizong aurait envoyé des hommes à Mokoto (Inde) afin d’apprendre la technique du procédé du vesou en sucre solide (= pains de sucre).
Les Chinois seront les vecteurs de l’expansion de la canne et du raffinage du sucre dans cette partie du globe.
Du vieux «shô tô»
La plus antique fraction de sucre solide («shô tô») a été importée de Chine vers le Japon grâce à 2 moines et médecins bouddhistes en 753. Ils le conservèrent avec le trésor impérial.
Selon un article paru au Japon dans les années 1950, le prêtre et médecin chinois Ganjin (688 à 763) a importé cet échantillon au Japon en l’an 754 à des fins thérapeutiques.
Ce vieux shô tô aurait été conservé dans l’une des 3 «chambres au trésor» du palais impérial de Nara. Dans le registre daté de 756, il apparaît sous le nom de «shato».
La conquête arabe (VII et VIIIème siècle)
Les Arabes arrivent en Perse où ils se familiarisent avec la canne et la fabrication du sucre. Un savoir-faire qu’ils diffuseront ensuite à travers leur empire, soit tout autour du bassin méditerranéen.
Son expansion commence en Palestine, en Egypte et en Syrie au VIIIème siècle où la canne se multiplie le long du Nil et où pour la 1ère fois la chaux est utilisée pour purifier les sirops.
Ils sont d’admirables jardiniers et de grands ingénieurs, et sélectionneront les cannes les plus productives, développeront les techniques d’irrigation et de culture, perfectionneront celles de l’extraction du vesou et de sa transformation en sucre, et leurs cuisiniers concocteront les premiers sirops et pâtisseries.
C’est d’ailleurs en optimisant la purification du sirop de sucre qu’ils obtinrent un produit gluant et brun foncé qu’ils nommèrent «Khurat Al Milh», origine du mot «caramel».
Production de canne & esclavage: un duo inséparable depuis l’Antiquité
La coupe de la canne, son broyage et sa transformation en sucre ont toujours nécessité une main-d’oeuvre conséquente, entraînant, pour en réduire les coûts de production, la pratique de ce drame humain qu’est l’esclavage.
Depuis l’Antiquité, de l’Orient à l’Occident, cette main-d’oeuvre a d’abord été extraite dans la population locale envahie, terrorisée et/ou colonisée, avec comme conséquence dans la plupart des cas la disparition du peuple autochtone. Cette «source» humaine corvéable épuisée, elle a ensuite été importée auprès d’autres régions ou pays asservis.
Dans le cas de la période des colonies, l’importation en masse d’esclaves venus d’Afrique a généré la traite esclavagiste, un «commerce» considérable et hautement lucratif, qui perdurera jusqu’à la moitié du XIXème siècle.
La Reconquista (dès 722) et les Croisades (1095 à 1491)
La reconquête de la péninsule ibérique et les pélerins armés des Croisades vont permettre au monde chrétien de s’initier à cette culture, et pour les plus fortunés de s’en procurer et apprécier son goût.
On installe la canne au IXème siècle dans le royaume arabo-andalou au Sud de l’Espagne, puis dans les îles de Crète, Chypre, Malte et la Sicile.
C’est en Angleterre en 1099 que le sucre de canne apparaît pour la 1ère fois en littérature; il demeurait encore cher et précieux puisqu’il se revendait à 2 «shillings a pound» en 1319, soit l’équivalent d’env. 100 €/kg.
Les Conquistas portugaise et espagnole (XVème et XVIIIème siècle)
Comme on l’a vu avant, la canne appauvrit rapidement les sols et est très exigeante en eau: les coûts de production sont énormes et les rendements ne sont pas extraordinaires sous ce climat.
Venise, plaque tournante des échanges maritimes entre l’Orient et l’Occident depuis des siècles, s’octroiera le monopole du sucre et son raffinage (avant Bruges, puis ensuite – dû à l’ensablement du Zwin – Anvers).
Mais ce monopole vénitien irrite d’autres pourvoyeurs de capitaux comme les Espagnols, Portugais, Génois et Flamands.
Les Portugais d’abord, emplis de ce besoin viscéral de prendre le large, découvrent et contrôlent des territoires insulaires avoisinants en y plantant (aussi) la canne:
Madère (1420), les Açores (1452), São Tome et Principe (1471). Puis les Espagnols avec les Canaries (1480), où d’importantes plantations et sucreries se développent.
La canne part à l’Ouest
«Rejoindre le Levant par le Ponant» – petit «détour» sur Christophe Colomb (1451-1506) Voir le document
Le sucre de canne portugais: N°1 du commerce international
Avec le trafic d’esclaves comme conséquence directe de la production de sucre, les Portugais mènent la danse à partir de Madère, d’où ils exportent matériel, technologie et savoir-faire dans leurs nouvelles colonies, particulièrement au Brésil, découvert par Pedro Álvares Cabral en 1500.
L’industrie de la canne y débute en 1532 à São Vicente (1ère colonie) puis rayonne à partir de Salvador da Bahia (1ère capitale, de 1549 à 1763).
À cette époque, les souverains de la péninsule ibérique procèdent aux persécutions des sujets non-catholiques: c’est ainsi que des juifs marranes, forts de leurs connaissances dans la production du sucre, ainsi que des Hollandais et réfugiés des Provinces-Unies, émigrent au Brésil pour y stimuler la production sucrière.
XVIIème et XVIIIème siècles: les Anglais puis les français se profilent
En 1630, les Hollandais de la GWC (Geoctroyeerde Westindische Compagnie = Compagnie néerlandaise des Indes occidentales), plus communément appelée WIC (West-Indische Compagnie), filiale de la puissante VOC (Vereenigde Oost-indische Compagnie = Compagnie néerlandaise des Indes orientales), prennent aux Portugais les villes de Recife, Natal et Salvador da Bahia pour leur soutirer une partie de leur emprise sur ce juteux commerce.
Leurs colonies subsisteront jusqu’en 1654, année de la fin de la 1ère guerre anglo-néerlandaise. Parallèlement, les Anglais, puis les Français aux Antilles, prennent le relais. Ils s’essaient d’abord à la culture du tabac et de l’indigo: un échec.
Ils installent alors des outils de production sucrière dès 1643 à Haïti/Saint-Domingue (devenue française en 1627), puis en Guadeloupe et Martinique (devenues françaises en 1635).
L’«habitation» française: outil de production durable et autarcique
Pensée et conçue pour produire de manière efficace et presque en autarcie, l’habitation, grand domaine généralement isolé et assez éloigné du rivage, est composée de la sucrerie (puis/ou de la distillerie, autonome en énergie car fonctionnant à la vapeur générée par la combustion de la bagasse), de magasins, hangars et étables, d’une infirmerie/dispensaire et des logements.
L’«habitan», maître après Dieu des lieux et des hommes du domaine, occupait la grande case. Elle était généralement située au haut d’une colline, toujours orientée avec de grandes ouvertures sur l’axe des alizés, afin de la ventiler et donner de la fraîcheur.
Les cadres blancs avaient leurs cases particulières, ainsi que celles de la famille du maître, du personnel et de l’encadrement que l’on appelait les «commandeurs» (en général des «petits blancs» venus chercher meilleure fortune dans les colonies).
Plus loin se trouvaient les logements collectifs de la main-d’oeuvre «libre», les étables des animaux de traite, et les – de sinistre mémoire – «cases à Nègres» des esclaves.
La sucrerie antillaise au XVIIème siècle
Très bien décrit dès 1667 par le religieux dominicain Jean-Baptiste (né Jacques) Du Tertre, les cannes coupées sont écrasées dans un moulin de 3 rolles verticales pour en extraire le vesou, qui va ensuite couler par plusieurs chaudières en série.
L’eau va s’évaporer le long des cuissons successives jusqu’à ce qu’une épaisse mélasse exempte de fibres résiduelles soit obtenue dans le dernier récipient. Cette matière est ensuite versée dans des «formes» coniques en terre, qui seront ensuite passées dans une «purgerie» afin qu’elles finissent de cristalliser, et que le liquide restant tombe par capillarité sur des «recettes» (sorte de grandes assiettes) se trouvant au-dessous des formes.
On obtient ainsi du sucre brun, qui sera ensuite «terré»…ou non. On démoule les formes pour obtenir les pains de sucre, qui seront ensuite passés à l’étuve pour éliminer les dernières traces d’eau.
Vient enfin l’opération du «pilage», soit la réduction du pain de sucre en poudre, qui sera stockée dans des barriques et seront acheminées sur les navires en partance pour (entre autres) les raffineries de la métropole.
XVIIIème siècle: les Français mettent le turbo
Entre 1720 et 1750, la canne devient presque une monoculture à Haïti/Saint-Domingue. En 1742, la Martinique comptait 456 habitations-sucreries actives, contre 117 en 1670. 16’000 ha étaient plantés en 1771 contre seulement 3’000 ha en 1671.
Dans le même temps, les raffineries se développent en métropole dans les grandes villes portuaires comme Bordeaux, La Rochelle, Marseille, Nantes et Rouen. Cette période de l’Histoire très mouvementée aura comme axe principal la maîtrise du commerce du sucre; exemple: la France n’hésitera pas à laisser le lointain Canada aux Anglais plutôt que perdre ses «Isles à sucre» !
En cette fin de siècle, la Révolution de 1789 aura comme conséquences l’application plus ou moins zélée de l’abolition de l’esclavage puis de déclarations d’indépendance dans les colonies, qui seront le théâtre horrible et sanglant de conflits, révoltes et horreurs, entraînant la mort de centaines de milliers d’êtres, quelle que soit leur couleur de peau ou parti politique.
Quelques dates pour la France, suite à la Révolution haïtienne d’août 1791 (première révolte d’esclaves réussie du monde moderne), où Saint-Domingue (future Haïti) était alors l’île produisant le plus de sucre de toutes les colonies françaises:
28 mars 1792:
l’assemblée législative se contente d’établir une égalité de droit entre tous les hommes libres, à l’exception des esclaves,
5 mai 1793:
proclamation de l’abolition de l’esclavage à Saint-Domingue, généralisée le 29 août 1793 dans toute la partie nord de l’île, le reste du territoire étant alors témoin des attaques des Anglais et des Espagnols,
4 février 1794:
l’assemblée de la Convention nationale vote l’abolition de l’esclavage, décret qui ne sera appliqué qu’en Guadeloupe et Guyane,
Avril 1794:
les Britanniques reprennent possession de la Guadeloupe,
Juin 1794:
les commissaires envoyés par la Convention pour proclamer et faire appliquer l’abolition en Guadeloupe, chassent les Anglais avec l’aide des esclaves auxquels ils avaient promis la liberté,
1798:
en Guadeloupe, l’armée est composée d’¼ de Blancs, d’¼ de métissés et de la moitié de Noirs. Elle s’agite de plus en plus et participe au renvoi de ses gouverneurs, ce qui va inquiéter Bonaparte…
XIXème siècle: le blocus continental et la betterave
Les multiples succès rencontrés par les soldats de Napoléon à la fin du XVIIIème siècle suite à la Révolution et les tentatives de restauration de l’Ancien Régime, suivi du «régime de la Terreur», donneront tout de même lieu à une brève paix générale de 13 mois en Europe grâce au Traité d’Amiens en mars 1802.
Elle aura pour résultat la fin de la 2ème coalition européenne contre la France, mais comme conséquence la restitution par toutes les parties concernées (d’un côté le Royaume-Uni, de l’autre le royaume d’Espagne et les républiques françaises et bataves) de toutes les possessions prises par fait de guerre. La Martinique est notamment rendue aux Français par les Anglais.
Dans le but de stabiliser les colonies françaises, Napoléon promeut un décret le 20 mai 1802 confirmant à nouveau l’abolition de l’esclavage, mais maintenu là où il subsistait avant le Traité d’Amiens (Martinique non comprise, car aux mains des Anglais depuis la Révolution)… Ses ordres officieux et l’application zélée de ses généraux entraîneront d’horribles répressions, massacres et suicides collectifs dans toute la région pendant des années.
Ce retour dans les colonies est très mal vu par les Britanniques, qui les harcèleront sur mer et sur terre. Bonaparte va même vendre en 1803 la Louisiane aux Etats-Unis, trop lointaine et trop difficile à défendre face à la suprématie navale des Anglais.
Sa tentative d’envahir les îles britanniques en rassemblant presque toute sa flotte et celle de ses alliés (via les Caraïbes !) sera définitivement interrompue par la célèbre bataille de Trafalgar le 21 octobre 1805.
Napoléon signe à Berlin le 21 novembre 1806 un décret instaurant officiellement le Blocus continental, dont les injonctions aux Britanniques sont les suivantes:
- Tout commerce avec le Royaume-Uni est totalement défendu,
- Les marchandises britanniques présentes sur le continent sont confisquées,
- Toute correspondance de ou pour le Royaume-Uni est détruite,
- Tout Britannique se trouvant en France ou dans l’Empire est fait prisonnier de guerre,
- Tout navire ayant mouillé dans un port britannique est de bonne prise.
Comme il est dès lors très difficile d’importer des marchandises des colonies et que sonne peu à peu le glas de l’esclavage, le sucre de canne se fait rare… L’Empire français est alors un immense marché de 80 millions de consommateurs qui ne peut plus faire commerce avec les Anglais, et doit profondément changer ses habitudes et ses sources d’approvisionnement.
Ce «système continental» ouvrira ce grand marché aux productions principalement françaises, et permettra le développement de nouvelles techniques et inventions, comme celle de la fabrication du sucre de betterave !
La betterave fait ployer la canne
Le «père» de l’agronomie française, Olivier de Serres (1539 – 1619), fut le premier à extraire le sucre de la betterave. Entre 1747 et 1798, des chimistes allemands (Andreas Sigismund Marggraf puis ensuite son élève, le professeur Achard) prouvent que le saccharose de la canne et de la betterave sucrière sont identiques, et produisent le premier sucre de betterave.
La 1ère usine au monde voit le jour en 1802. Vers 1809, le chimiste Jean-Baptiste Quéruel se fait engager à la manufacture sucrière de Passy, propriété de [Jules Paul] Benjamin Delessert (fils d’Etienne Delessert, né à Lyon et originaire du Canton de Vaud, Suisse), homme d’affaires, naturaliste et industriel français, qui fondera notamment les Caisses d’Epargne en France dès 1818.
Fin 1811, Quéruel y met au point un procédé de raffinage permettant pour la première fois une fabrication du sucre à l’échelle industrielle, méthode nommée «Bonmatin» par Delessert, qui se presse d’aller présenter à Napoléon de superbes pains de sucre et faire miroiter d’importants gains en production.
L’Empereur, qui encourageait déjà les recherches dans ce domaine, fut si enthousiaste qu’il décora Delessert de la Légion d’Honneur le 2 janvier 1812; il lui donnera au cours de cette même année le titre de baron de l’Empire. Le 24 janvier 1812, Napoléon ordonne la publication d’un décret impérial stipulant:
«100 élèves, pris parmi les étudiants en pharmacie, en médecine et en chimie, seront attachés à diverses fabriques de sucre de betteraves nouvellement établies comme école spéciale de chimie, pour la fabrication du sucre de betterave.
Chaque étudiant ayant suivi les cours pendant plus de trois mois et ayant prouvé qu’il connait parfaitement les procédés de fabrication recevra une indemnité de 1’000 francs.
Par ailleurs, le ministre de l’intérieur prendra des mesures pour faire semer dans l’étendue de l’Empire 100’000 arpents métriques (plus de 340 km2 !) de betteraves, 500 licences pour la fabrication de ce nouveau sucre seront accordées dans tout l’Empire.
4 fabriques impériales seront établies en 1812 devant fabriquer 2 millions de kg de sucre brut avec le produit de la récolte de 1812 à 1813».
De l’esclavage à l’engagisme
Lorsque le blocus est levé à la chute de l’Empire (1814), le sucre de canne des colonies inonde à nouveau le marché. Sous le poids de la concurrence, l’industrie naissante de la betterave accuse le coup. Un grand nombre de sucreries ferment leurs portes après avoir subi d’importantes pertes.
L’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques (1833), et enfin la mise en application du décret français dans ses propres colonies (1848), engendra une forte hausse du prix du sucre de canne et une diminution de sa production.
Cette pénurie de main-d’oeuvre bon marché fut alors compensée par la remise en place de l’«engagisme» (déjà pratiqué au début des colonies), sorte de «contrat de travail» (minimum 5 ans) dont les conditions ressemblaient fortement au servage du Moyen-Âge. De 1849 à 1852, env. 1’200 engagés émigrèrent de France et d’Allemagne à la Guadeloupe et à la Martinique, main-d’oeuvre de loin insuffisante.
Fort de leur récente expérience des Africains, Indiens et Chinois à La Réunion, les colons se tournèrent vers les Indiens, provenant d’abord des colonies anglaises avoisinantes (Barbade, Trinidad), car la venue de ces travailleurs était le fruit d’un accord entre la France et l’Angleterre jusqu’en 1882 (date de la suspension de l’accord par les Britanniques), cette dernière acceptant que des «Coolies» (terme à connotation raciste issu du chinois: «ku» = souffrance, et «li» = force) soient recrutés dans ses colonies.
C’est en 1853 que le premier navire venu directement d’Inde débarqua ses premiers «engagés» en Martinique (25’500 entre 1853 et 1889; actuellement, moins d’1% de la population est d’origine indienne) puis en Guadeloupe en 1854 (43’200 entre 1854 et 1885; actuellement, env. 13% de la population est d’origine indienne).
Cette empreinte indienne marquera pour toujours la culture des Caraïbes et du continent américain: on leur doit les fameux tissus «madras», le «colombo» (curry) antillais et le «massalé» réunionnais (5 épices), le «dhal» (lentilles) de Trinidad, et toutes sortes d’épices qu’ils avaient emportées dans leur bagages.
Le trop lent remplacement des moulins à bras par les dernières innovations technologiques (= machines à vapeur) ne put inverser la…vapeur ! Les betteraviers en profitèrent, d’autant plus que leurs sucreries amélioraient progressivement leur rendement grâce à la construction de grosses unités de production.
«Aujourd’hui» (2013), la France est le 2ème producteur de betterave sucrière dans le monde avec 33,6 millions de tonnes (13,43% de la production mondiale). À titre de comparaison, le top 5 des plus gros producteurs de sucre de canne au monde (et non de sucre, ni de rhum) en 2007:
- Brésil 455,29 millions de t,
- Inde 281,17 millions de t,
- Chine 100,68 millions de t,
- USA 50,59 millions de t,
- Thaïlande 47,66 millions de t.
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