RUM, ROMME, ROM(E), OU RHUM?
Appellations non contrôlées…
Suite à ses ancêtres les «gerebita», «aguardiente de cana» (ancêtres de la cachaça) ou «eau-de-vie de canne», «chingurito» ou «clairin», le XVIIème siècle voit son appellation commencer à se préciser, puis s’universaliser tout au long du XVIIIème…
Rumbullion (1651) ou Rumbustion. Puis Kill Divell, Kill-Devill et enfin Kill Devil
Giles Silvester, ancien résident de la Barbade (frère du riche et puissant planteur de sucre anglo-néerlandais établi à la Barbade, Constant Silvester), rédige à son retour en Angleterre un ouvrage intitulé «Description de la Barbade», publié en 1651. C’est à ce jour la référence la plus ancienne recensée:
«The chiefe fudling they make in the Iland is Rumbullion alias Kill-Devill, and this is made of Suggar cane distilled, a hott, hellish and terrible liquor»
soit: «la principale boisson qu’ils fabriquent dans l’île est du «rumbullion» ou «tue-diable», c’est fait de sucre de canne distillée, une brûlante, infernale et terrible liqueur».
Le mot «rumbullion», qui signifiait déjà «grand tumulte» au XVIème siècle dans le Comté du Devon (Devonshire), reflète qu’une grande partie des premiers migrants dans les colonies britanniques du XVIIème provenait de l’Ouest de l’Angleterre, et qu’ils durent être pour le moins secoués suite à la consommation de ce nouveau spiritueux, titrant alors aux environs de 70% de volume d’alcool !
Guildive
Lorsque les Français entendaient les Anglais nommer l’eau-de-vie de canne «kill devil», ils l’ont francisée en «guildive»
Taffia (1659) puis Tafia
Vin de fermentation du vesou (= moût = jus de canne broyée; prononcez «veuzou»), l’ancêtre du rhum. L’érudit Mathurin Veyssière de la Croze, en Guadeloupe entre 1675 et 1677, rapporte en 1694:
«Quand un Indien du pays boit du brandevin à la santé d’un François, entre autres mots de sa langue, il lui dit, “tafiat”: à quoi le François répond en faisant raison, “ratafiat”».
Plus tard on discerna le tafia du rhum:
- tafia = eau-de-vie tirée des mélasses,
- rhum = eau-de-vie tirée du vesou = rhum agricole.
Ratafia (1675)
Sans rapport avec la canne à sucre, le ratafia est un vin de liqueur ou mistelle = moût non fermenté + eau-de-vie, ou des fruits ou fleurs macérés dans l’eau-de-vie.
Antérieurs au rhum, les vins blancs doux (eau-de-vie ajoutée aux vins à des fins de conservation, fortement appréciés par la clientèle du nord de l’Europe) étaient la source d’un gros négoce entre la France et les Provinces-Unies (Hollande) dès le début du XVIIème siècle.
Rum (1688)
Abréviation de rumbullion ou rumbustion. En 1632, la marine anglaise a tout d’abord remplacé le gallon (> 4,5 l !) quotidien de bière servi aux marins par du punch alcoolisé avec du vin ou du brandy, puis dès 1655 par une pinte (5,68 dl !) journalière de Navy Rum (rhum de la marine).
Nom officialisé dans les dictionnaires à partir de 1688.
De vieilles conjectures attribuent «rum» à l’abréviation ou interprétation de «saccharum», ou «aroma»/«arôme». On lui suggère aussi une origine malaisienne, «beram» signifiant alors boisson alcoolique…
Romme puis Rom(e) (1723), et enfin Rhum (1768)
«Romme» est le nom francisé de rum; il perd ensuite un «m» pour la «rome», puis devient masculin (ex: «le rome au ponche»).
On lui ôtera ensuite son «e» pendant quelques années, et enfin Diderot et D’Alembert seront les premiers à revenir à l’origine anglaise du mot, tout en y insérant un «h», dans le but de ne pas confondre ce mot avec les peuples nomades de Roumanie? ou pour renforcer le «r», comme on ajouta à la même époque un «h» au mot «rume» ou «reume», pour devenir «rhume»? ils le publieront dans leur Encyclopédie sous le terme «rhum».
Rhum agricole vs rhum industriel
Bien que ce spiritueux non coloré, appelé alors «rhum z’habitans» existe depuis longtemps et était consommé localement, son exportation est assez récente.
Il faudra attendre le XIXème siècle pour que, à la suite de la 1ère crise du sucre (de canne) engendrée par la production du sucre de betterave en Europe, le rhum agricole soit découvert sur le Vieux Continent.
Les 1ers rhums vieillis en barriques sur le site de production n’y débarqueront qu’au terme du siècle, et divers événements successifs accéléreront sa diffusion dès le début du XXème.
Type de terrain et climat donnent à la canne sa spécifité. Si le distillateur ne mélange pas ses approvisionnements en canne lorsqu’elle provient de divers planteurs disséminés sur le territoire, ou qu’il passe en fermentation des vesous issus de ses cannes de localisation bien identifiée, le terme «terroir» peut alors être décrit sans modération pour le rhum agricole !
Comme le dit un vieux dicton: «la canne doit avoir le pied en terre et la tête dans le moulin» (comme pour le raisin !), car la teneur en sucre – transformé par les bactéries – est déjà réduite de moitié 48 heures après sa coupe.
Le choix des levures et la durée de fermentation, issus d’héritages culturels et aussi des dernières modernisations, influencent beaucoup la concentration des éléments non-alcools, seuls responsables de la personnalité, arômes et saveurs de n’importe quel spiritueux non encore vieilli en fût.
Le type de distillation, continue et uniquement à travers un alambic à colonne continue, donnera des résultats nuancés d’acides gras et alcool(s).
Ce rhum de coulage, transparent et incolore, titre de 65% d’alcool à au-dessous de 90% (75% max pour l’AOC de Martinique); il est aéré et brassé dans de grandes cuves en inox pendant min 6 semaines et jusqu’à 6 mois, puis réduit à l’eau la plus pure à min 40%, ou 50%, 55%*, 59%** (Marie-Galante), voire dans certains cas particuliers à 60%, 62% ou 70% (anniversaire de distillerie, commémoration, etc).
Les rhums industriels ou légers, quant à eux, sont majoritairement distillés plusieurs fois dans des alambics ou à travers des colonnes modernes industrielles, et titrent à plus de 90% d’alcool. Après réduction, ils sont commercialisés principalement entre 35% et 40% d’alcool (UE: min 37,5% pour s’appeler encore «rhum»).
* 55% est le taux d’alcool se rapprochant le plus du ratio 1/10, soit une tonne de canne correspond à 100 litres de rhum réduit à 55%, ou il faut 10 kg de canne pour obtenir 1 l de rhum à 55%.
** 59% est le taux d’alcool traditionnellement réduit à Marie-Galante, alors que la limite a longtemps été fixée à 55% max.
Pour le rhum vieux agricole, son caractère dépendra de la conduite du maître de chai dans la maturation de ces rhums blancs non ou peu réduits (entre 70 et 60% vol. alc.) dans des barriques (d’env. 180 à 650 l max), ou foudres de chêne (de 5’000 à 30’000 l) pour les rhums ambrés, dits ESB (= Élevés Sous Bois (AOC)).
Son profil aromatique sera sculpté par le choix des fûts, son ouillage fréquent dû à une « part des anges » (= évaporation naturelle d’un rhum enfermé dans son fût) 4 à 5 fois plus élevée (8 à 10%) qu’en Europe (1 à 2%), ainsi qu’à la manière d’assembler les rhums de différents fûts et millésimes, afin d’obtenir la constance d’un rhum signature ou la bonne surprise attendue d’un fût(s) unique(s).
Signalons ici qu’une barrique classique (ex: 200 l) pleine de rhum de coulage (65% à 75% vol. alc. max (AOC)) et jamais ouillée, reposant dans un chai se trouvant sous le climat tropical antillais, verra:
la moitié de son contenant disparaître au bout de 10 ans,
ne contenir que 30% de rhum après 15 ans,
toute trace d’alcool disparue après max. 53 ans.
Depuis 1963, un rhum français ne peut être appelé «vieux» que si la goutte la plus jeune de l’assemblage se trouvant dans une barrique a au moins 3 ans. Le tableau suivant vous donne plus amples détails sur ces dénominations contrôlées.
Les rhums bruns ou vieillis issus de rhums industriels sont aussi des rhums de coulage blancs et transparents (titrant entre 90 et 96% max. d’alcool) vieillis en fûts; leur qualité dépendra de paramètres semblables aux rhums de pure canne fraîche, et celle du chef d’orchestre qu’est le maître de chai.
Mais le manque de normes internationales pour comparer ces rhums entre eux, ou le nivellement par le bas des appellations existantes dû aux gros enjeux commerciaux de ce spiritueux,
ne vous donnera jamais l’indication que sucre, glycérol, vanilline ou colorant ont été ou non ajoutés, que son vieillissement de X années décrit l’âge de la goutte la plus récente ou la plus ancienne se trouvant dans le fût?
ou la moyenne d’âge des fûts se trouvant dans le chai?
Et de quand date la mise en bouteille de ce millésime? etc. La confusion y règne depuis longtemps et n’est pas prête de s’estomper…
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